Pourquoi la stratégie non-violente est-elle adaptée à un mouvement de masse ? En quoi la stratégie d’action non-violente est-elle incompatible avec la stratégie de l’action violente ? Voici quelques-unes des questions développées dans cet article « Stratégie non-violente et action de masse », qui vient de paraître dans le nouveau numéro de la revue Alternatives Non-Violentes, numéro dédié au sujet de la « diversité des tactiques dans les luttes ». L’occasion de découvrir cette revue spécialisée sur la non-violence, et les autres articles de ce numéro, écrits notamment par Ben Lefetey (sur la lutte contre le barrage au Testet), et Geneviève Coiffard-Grosdoy (sur la lutte contre l’aéroport à NDDL).
Une revue à lire, à soutenir, et à diffuser !
STRATÉGIE NON-VIOLENTE ET ACTION DE MASSE
Par Jon Palais
Les mobilisations de ces dernières années ont fait resurgir un débat sur le rapport entre l’action violente et l’action non-violente, de la lutte contre le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes à celle contre le barrage de Sivens, des mobilisations autour de la Cop21 aux mobilisations contre la loi El-Khomri.
Dans ce débat, l’expression « diversité des tactiques » est souvent employée pour désigner une manière d’articuler dans une même lutte à la fois des actions non-violentes et des actions violentes. Pour certains militants, cette diversité des tactiques permettrait d’intégrer davantage de tendances militantes, et de poser un cadre large propice à la construction d’un mouvement de masse. Pour d’autres, l’action violente empêche le bon déroulement de certaines actions non-violentes, réduisant ainsi la diversité des formes d’actions possibles, excluant des personnes qui ne veulent pas assumer les conséquences d’actions violentes, et ne permet donc pas de créer les conditions d’intégration large pour la construction d’un mouvement de masse. C’est sur cette seconde analyse que s’est créé le processus Action Non-Violente Cop21 (ANV-Cop21), lancé en septembre 2015 dans la perspective de la Cop21, afin d’expérimenter l’organisation d’actions non-violentes de masse pour contribuer à relever le défi climatique.
INCOMPATIBILITÉ DE NATURE ENTRE ACTION VIOLENTE ET NON-VIOLENTE
Dans les mois et années précédant la Cop21, plusieurs manifestations écologistes en France ont été perturbées par des actions violentes et des affrontements avec les forces de l’ordre. Ce fut le cas, le 22 février 2014 à Nantes, lors de la manifestation contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Il s’agissait d’une manifestation familiale, grand public, qui a rassemblé 40 000 personnes, mais qui a également donné lieu à des affrontements violents entre les forces de l’ordre et une partie des manifestants, dont certains étaient masqués et équipés pour l’affrontement physique. La manifestation a ainsi donné lieu à des images d’émeutes, de casse, d’incendies, etc. Les manifestants venus affronter les forces de l’ordre étaient très minoritaires par rapport aux dizaines de milliers de personnes qui manifestaient de manière pacifique, c’est pourtant leur mode d’action violent qui a imposé sa logique à l’ensemble de la manifestation. L’action violente, même minoritaire, conditionne en effet tous les aspects de la mobilisation : le type d’intervention des forces de l’ordre qui peut être plus répressif, le traitement médiatique de l’événement qui se focalise sur la violence, la perception par l’opinion publique qui distingue moins bien la dimension populaire et familiale de l’événement, les adversaires et le pouvoir en place qui pointent du doigt les casseurs et les manifestants violents, et qui utilisent ces actions minoritaires pour criminaliser et pour justifier une répression plus brutale et plus violente de l’ensemble du mouvement.
DÉTOURNEMENT DE LA STRATÉGIE ET QUESTION DE DÉMOCRATIE
On peut comparer ce phénomène à celui de la grenadine : il suffit d’une petite quantité de sirop de grenadine dans un grand verre d’eau pour qu’il devienne entièrement rouge. De la même manière, il suffit d’une petite part d’action violente dans une grande manifestation pacifique ou dans une action non-violente de masse, pour que l’ensemble de l’action apparaisse comme violente, et que la logique de la violence s’impose à l’ensemble des participants. Par sa nature même, en utilisant la force physique et brutale, l’action violente s’impose aux autres formes d’action, et impose sa propre stratégie. Dès lors qu’il y a une part d’action violente, il ne s’agit alors plus d’une stratégie non-violente, mais d’une stratégie violente, qui comprend éventuellement une part d’action non-violente ou pacifique.
Ce jour-là à Nantes, la stratégie initialement prévue, et communiquée publiquement à l’avance, d’une manifestation festive, familiale, a ainsi été détournée par une minorité de personnes et ré-orientée vers une stratégie d’action violente. Cela pose un problème démocratique et éthique, dès lors qu’une minorité de personnes imposent leur choix tactique et leur stratégie à une majorité de personnes, sans discussion préalable, sans communication publique, sans décision collective, sans respect des cadres décidés en amont. D’autres mobilisations écologistes ont été émaillées d’actions violentes dans les mois qui ont suivi cet événement, notamment dans la lutte contre le barrage de Sivens, et dans différentes manifestations en France suite à la mort de Rémi Fraisse. Le processus ANV-Cop21 a été lancé précisément pour anticiper ce type de scénario. Son approche s’appuie sur trois éléments pour éviter qu’une stratégie d’action non-violente de masse ne soit détournée en stratégie violente : — une affirmation sans ambiguïté du principe de non-violence, communiquée publiquement à l’avance ; — des critères de non-violence clairement définis ; — des moyens de faire appliquer ces critères : des modes opératoires pour empêcher ou pour se dissocier des actions violentes qui pourraient interférer avec les actions non-violentes.
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